Bolkestein, Constitution, la nécessité d'un double NON
Un article très instructif publié dans Politis le 7 avril
Revoilà Bolkestein ! Lancien commissaire européen est à Paris cette semaine. Frits Bolkestein entend défendre lui-même son projet de directive sur les services dans le marché intérieur. Afin de répondre à ses détracteurs, il devait tenir une conférence de presse, le 6 avril, et souhaitait donner plusieurs interviews. Les partisans du « oui » à la Constitution européenne se seraient sans doute bien passés de cette irruption dans la campagne référendaire dun homme qui présidait lInternationale libérale avant de siéger à la Commission de Bruxelles. Un homme dont ils assurent volontiers que le projet « outrancier », dixit Jacques Chirac, est responsable de la montée du « non ».
Lanalyse est un peu sommaire, mais il est indéniable que la directive Bolkestein a rendu visible pour le plus grand nombre la logique libérale dune construction européenne que le traité prétend précisément constitutionnaliser. Les thuriféraires de la Constitution ont beau répéter que « la directive Bolkestein na rien à voir avec la Constitution », les faits sont têtus. Si un commissaire européen a pu concevoir dautoriser nimporte quelle entreprise établie dans un pays membre à vendre ses services dans tout autre pays de lUnion sans avoir à se conformer aux législations sociale, fiscale ou environnementale plus exigeantes du pays où elle entend dispenser son savoir-faire, cest bien parce que des articles du traité de la Communauté européenne, dit de Rome, lont rendu possible. Or cette base juridique est intégralement reprise dans le projet de traité constitutionnel que lon nous demande dapprouver le 29 mai. Geneviève Azam en a fait dans ces colonnes la démonstration (cPolitis n° 840). Il nest donc pas nécessaire dy revenir.
En revanche, on tirera ici bien volontiers deux autres leçons du tollé unanime de la classe politique contre la « directive Bolkestein » auquel nous avons assisté ces derniers mois. La première est dordre institutionnel. Après le Conseil européen des 23 et 24 mars, au cours duquel Jacques Chirac a cru pouvoir annoncer le « retrait » de ce projet de directive, François Hollande assurant pareillement quil était « arrêté et abandonné », la tournée parisienne de Frits Bolkestein souligne quil nen est rien. Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, qui assume la présidence tournante de lUnion européenne (UE), lavait déjà dit lors du Sommet : la directive nest « pas retirée ». Les Vingt-cinq leussent-ils voulu, ils nont pas ce pouvoir. En vertu des traités, linitiative des lois (et subséquemment la décision dun éventuel retrait) appartient à la Commission, réputée exercer ses fonctions dans « lintérêt général de la Communauté ». « Dans laccomplissement de leurs devoirs, [ses membres] ne sollicitent ni nacceptent dinstructions daucun gouvernement ni daucun organisme », précise larticle 213 du traité de Rome. Cette « indépendance » est encore renforcée dans le projet de Constitution.
Dans ce cadre institutionnel, le Conseil des chefs dÉtat et de gouvernement ne pouvait guère faire plus que demander « que tous les efforts soient entrepris dans le cadre du processus législatif » en cours pour que la directive Bolkestein concilie mieux lobjectif dun « marché intérieur des services[...] pleinement opérationnel » et la préservation du « modèle social européen ». La Commission est ainsi priée daccueillir favorablement les amendements que le Parlement européen pourrait réclamer lors de lexamen du texte, actuellement étudié en commission. Et ce nest quau terme dun premier vote parlementaire, désormais attendu à lautomne, que les vingt-cinq ministres du Conseil « compétitivité » auront à se prononcer. À quoi ressemblera alors le texte ? Nul ne peut le dire.
La seconde leçon est politique. Car le projet de Frits Bolkestein, on a trop tendance à loublier, est le fruit de décisions politiques consignées dans les conclusions de sommets européens ou les résolutions de rapports votés par le Parlement européen. Lindépendance de la Commission et lirresponsabilité politique que celle-ci induit sont des excuses bien commodes pour nos responsables politiques. La genèse de la directive Bolkestein, que nous avons retracée montre quelle naurait jamais existé sans que son auteur ait obtenu laval du Conseil des chefs dÉtat et de gouvernement, instance qui impulse les grandes orientations des politiques européennes et où siègent les véritables inspirateurs des lois (directives) de lUnion. La libéralisation du marché des services quil prétend instaurer aurait sûrement été plus mesurée si lassemblée de Strasbourg, par ses votes, navait imprudemment suggéré quelle était favorable au principe du pays dorigine. Frits Bolkestein, qui se plaint dêtre un bouc émissaire, serait fondé à rappeler ces faits dérangeants pour ceux qui, aujourdhui, feignent de sindigner des dispositions de son projet.
Au cas où lex-commissaire préférerait sen tenir à une simple défense des mérites de sa directive, afin de ne pas compromettre les chances du « oui » au référendum, il nest pas inutile de rappeler ce quelle doit à la « stratégie de Lisbonne » arrêtée lors dun Conseil européen, en mars 2000. Celle-ci fixe à lEurope un « objectif stratégique » à lhorizon 2010 : « Devenir léconomie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable dune croissance économique durable accompagnée dune amélioration quantitative et qualitative de lemploi et dune plus grande cohésion sociale. » À cette fin, les chefs de gouvernement des Quinze, dont « onze étaient socialistes », vient de rappeler François Hollande, ont dressé une liste de 28 objectifs à atteindre par chaque gouvernement placé ainsi en concurrence avec ses voisins. Certains ont nécessité (ou nécessiteront) des « réformes économiques et sociales » dampleur. Ainsi en est-il de la volonté affirmée alors « daccélérer la libéralisation » de services publics « tels que le gaz, lélectricité, les services postaux et les transports », mais aussi de lespace aérien. Ou du souhait de procéder à « lélimination des entraves aux services » et de « moderniser » la protection sociale, notamment en « supprimant les obstacles à linvestissement dans les fonds de pension ». Dautres se contentent dindiquer des orientations, lUnion jouant un rôle de coordination : les États membres sont invités à « réduire le niveau général des aides dÉtat », « réduire la pression fiscale qui pèse sur le travail » ou encore « relever le niveau demploi », ce qui justifie de reculer lâge de la retraite, etc.
On le voit, la plupart des réformes nationales contestées ces dernières années, y compris la loi dorientation sur lécole de François Fillon (Politis n° 839), ne sont que la traduction des décisions prises à Lisbonne et approuvées par Jacques Chirac et Lionel Jospin. Mal acceptée par les peuples, cette stratégie a en outre échoué jusque-là à permettre à lEurope dêtre aussi compétitive que les États-Unis. Le dernier Sommet de Bruxelles a pourtant décidé de la relancer et daccélérer le rythme des réformes réclamées par cette course au libéralisme. Les critiques du Conseil sur Bolkestein auront ainsi permis de masquer dautres directives qui libéralisent les transports et les services portuaires, ou déréglementent le temps de travail. Et procèdent de la même philosophie.
Michel Soudais
A NOTER - Déclarations de Bolkestein, Blair et Seillière, la vérité éclate au grand jour !
> Déclaration de Frits Bolkestein, mercredi 6 avril à Paris :
Trois déclarations qui rétablissent deux vérités essentielles : la directive Bolkestein n'a en rien été retirée, la Constitution (à travers les articles 144 à 149) va totalement dans le même sens, favorisant donc le dumping social.
On comprend dès lors qu'un NON à ce traité, cest un OUI à une réorientation des politiques en Europe. Dire NON, cest rendre possible lalternative sociale !